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Du 1er janvier au 31 décembre, l’année périgourdine est rythmée par des traditions dont la vivacité encore de nos jours peut surprendre. Il faut dire aussi que comme dans un album d’Astérix, la plupart d’entre elles commencent ou finissent par un gueuleton. Et dans le fond s’il est une tradition ici qui englobe toutes les autres, c’est bien celle de l’excellence alimentaire. Du bourru châtaignes à la gerbe-baude, de la saison des feuillards au jimboura, on vous raconte ce qui nous occupe dès les premiers frimas.

Le bourru châtaignes

Le vin bourru est du jus de raisin qui vient tout juste de démarrer sa fermentation. Il est donc encore très riche en sucre mais faible en alcool, et pétillant en raison du gaz carbonique dégagé par la fermentation. Il est aussi un peu trouble du fait de la mise en suspension des particules de raisin lors de la fermentation. Ce vin en devenir, cette fabuleuse promesse, est déjà une vraie gourmandise. On peut s’en procurer auprès des vignerons et des caves coopératives de la région qui le commercialisent dans des bouteilles à bouchon percé. Le vin bourru est en effet peu stable car toujours en fermentation : gare aux accidents ! Ses arômes sont différents selon les variétés de raisins utilisées. Il est donc intéressant de déguster les bourrus produits au fur et à mesure de la vendange des différents cépages. Et comme la nature est vraiment bien faite, la récolte des premières châtaignes a lieu pile au même moment ! Il ne vous reste plus qu’à inviter quelques bons amis pour une balade en forêt, ramasser quelques châtaignes et les faire griller dans la cheminée, avant de les déguster accompagnées d’un délicieux vin bourru. Une vraie madeleine de Proust !

Les feuillardiers

Au XIXe siècle2, les feuillardiers fabriquaient les feuillards, de longues lattes en bois de châtaigner destinées à cercler les barriques utilisées par les vignerons de la région. Le métier était très répandu en Périgord, Limousin et Charente du fait de la présence concomitante des châtaigneraies et des vignobles bergeracois, bordelais et cognaçais. Au XXe siècle, avec le développement du cerclage en fer, les feuillards ne servaient plus qu’à protéger les barriques lors du transport. Aujourd’hui, cette pièce est essentiellement décorative. De fait, les feuillardiers avaient presque disparu, et tout un savoir-faire avec eux. C’était sans compter une poignée de périgourdins bien décidés à faire perdurer cette tradition. Ils se sont formés auprès de leurs aînés, travaillent avec les plus prestigieuses tonnelleries françaises, et se sont même regroupés au sein d’une association créée en 2019 – l’Association des Feuillardiers du Périgord – qui compte une petite dizaine d’adhérents.

 

Parmi eux, Estelle et Judith, deux jeunes femmes installées à Tamniès en Périgord Noir. Sans doute les toutes premières feuillardières de l’histoire, car autrefois le métier, plutôt physique, était réservé aux hommes. Il s’agissait souvent d’un complément d’activité pour les agriculteurs. Car la fabrication des feuillards se pratique à la descente de sève, de septembre à avril uniquement. Le feuillardier coupe de jeunes pousses de châtaignier âgés de 4 à 8 ans. La branche est ensuite nettoyée et fendue en deux dans le sens de la longueur. Les bois sont ensuite pliés et cintrés, puis liés entre eux avec de l’osier. Ne vous fiez pas à la description simpliste de ces quelques étapes clés. Chaque geste demande un savoir-faire bien précis, beaucoup de force, et de la concentration pour ne pas se blesser lors du maniement des différents outils tranchants utilisés. En complément de leur travail pour les tonneliers, les feuillardiers se sont diversifiés et la plupart confectionnent également piquets et marquants, et parfois aussi du mobilier, des paniers et des objets de décoration en lattes de châtaignier.

La gerbe-baude

La gerbe-baude – gerba bauda en occitan – désigne le traditionnel repas de fin de vendanges (1). À l’automne, la récolte des dernières grappes marque le début de la fête. Aussi, on prend soin d’orner la dernière remorque qui les contient d’une gerbe de fleurs fraîches, d’où le nom de gerbe?baude qui signifie gerbe joyeuse. Vendangeurs, voisins et amis sont invités à un grand banquet au domaine… généralement bien arrosé. Autrefois, on mangeait bien sûr des plats cuisinés à partir des produits de la ferme : soupe, tourtière aux salsifis, civets… Et on s’autorisait un dessert, plutôt rare et réservé aux dimanches et aux fêtes. Un massepain avec une crème à la vanille par exemple. Aujourd’hui, les mets proposés sont plus variés. Mais on va souvent chercher du côté de la tradition des plats conviviaux à partager et concoctés à partir de beaux produits d’ici. Les vendangeurs venant parfois de très loin aujourd’hui, c’est l’occasion de leur faire découvrir la gastronomie locale ! Ce qui n’a pas changé en tout cas, c’est la convivialité et le plaisir d’être ensemble après avoir partagé le dur labeur qu’est celui des vendanges.

 

Le jimboura

Le jimboura (ou jemboura) est la soupe que l’on confectionne à partir de l’eau de cuisson des boudins lors du tue-cochon. Si la taille du cochon n’est plus aussi répandue qu’elle l’a été – autrefois toutes les fermes tuaient le cochon à tour de rôle – la tradition perdure tout de même et avec elle la fameuse recette de la soupe de boudins. Pour des raisons d’hygiène, on tue généralement le cochon en hiver. La tâche est fastidieuse, alors bien souvent voisins et amis viennent donner un coup de main. Malgré tout, il y a bien deux à trois jours de travail en perspective. Âmes sensibles s’abstenir, la première étape consiste à saigner le cochon. La tâche est confiée à un saigneur expérimenté. On recueille le sang du cochon dans une grande bassine avec un peu de vinaigre et on remue pour éviter qu’il ne fige. Dans un bouillon de légumes, on fait cuire la tête et la gorge de l’animal. Le boudin du Périgord est confectionné à partir de ce mélange de viandes liées avec le sang du cochon, qu’on entonne dans les boyaux préalablement lavés à grande eau dans la rivière.

 

Une fois les boudins réalisés, il faut les cuire dans l’eau frémissante pendant une vingtaine de minutes. Parfois un boudin éclate et c’est tant mieux car le jimboura n’en sera que meilleur ! C’est en effet avec cette eau de cuisson des boudins qu’on prépare la fameuse soupe. Tout simplement en y ajoutant des légumes – pommes de terre, poireaux, carottes, choux, oignons – et des aromates. Chaque famille a bien sûr sa propre recette. Certains ajoutent des haricots, font revenir au préalable les légumes dans la graisse d’oie… Le jimboura, c’est un moyen convivial de remercier les amis et voisins ayant participé au tue-cochon. Dans le temps, quand toutes les fermes tuaient le cochon, on passait l’hiver à manger le jimboura ! Aujourd’hui, certaines associations organisent dans les villages des repas jimboura pour perpétuer la tradition. Et certains restaurateurs mettent même cette soupe de boudin à l’ardoise parfois en hiver. Ce que dit le jimboura, c’est avant tout l’entraide, la solidarité et le plaisir d’être ensemble, même au cœur de l’hiver.

 

 

Texte Alexandrine Bourgoin

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Pour votre santé, mangez au moins cinq fruits et légumes par jour. Plus d'infos sur www.mangerbouger.fr