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S’enfoncer dans les sous-bois du Périgord, c’est faire l’expérience d’un monde sauvage, aller puiser la force vitale, originelle, de nos lointains ancêtres chasseurs cueilleurs au cœur d’une forêt nourricière, bruissant de gibier - et peut-être de loup, identique à ceux de lointaines légendes. Refuge pour la biodiversité, sanctuaire inviolable pour certains, théâtre d’un très cérémonial brame du cerf à l’automne, et terrain de chasse pour d’autres, la forêt fait plus
que décorer nos paysages.

Une richesse fragile

Puissante et séculaire, elle s’est transformée par la grâce de la nature et du climat, et avec l’instinct de propriété qui a gagné les humains. Ce Périgord boisé, qui recouvre près de la moitié du territoire, appartient aujourd’hui à 99 % à des privés, autour de quelques grands domaines publics de référence. Ce patrimoine morcelé se partage entre forêt ancienne (usage forestier établi depuis 1850) et récente, à 70 % de peuplements feuillus, surtout chênes et châtaigniers. Derrière tout arbre se cache une immense ressource, un bien durable et renouvelable : la maturité venue, les hautes futaies s’inclinent pour qu’une autre génération s’élève au-dessus des clairières. Et pour éviter un avenir en panne d’essences, la diversité devra composer avec le réchauffement climatique : quand la forêt brûle, ce sont nos cœurs qui s’embrasent.

 

Dignes héritiers

Bien des activités ont animé les sous-bois, du bucheronnage traditionnel aux cabanes de feuillardiers pour cintrer les branches de châtaigniers. C’est grâce à la forêt qu’ont fonctionné les premières industries dans le Haut-Périgord, en témoigne la forge de Savignac-Lédrier et son haut-fourneau alimenté par les coupes de bois.

La forêt périgourdine abrite encore de formidables épopées humaines, comme celle des Copeaux Cabana, atelier d’artisans indépendants passionnés de bâti ancien, engagés sur des chantiers d’assemblages traditionnels, avec un soin apporté à l’esthétique : ce lieu participatif est ouvert à la découverte de savoir-faire de charpentier traditionnel. Et un fameux bal des bois printanier fait trembler le plancher géant, près des Eyzies. Autre aventure des temps modernes autour de ce bien commun, la scierie associative Au coin des scieurs, établie à Tursac.

L’art des feuillards reste vivant à l’atelier de la Feuillardière Labrunie, à Domme. Il maîtrise le cerclage des côtes de châtaigniers pour les tonneaux traditionnels et les techniques artisanales pour les accessoires de tonnellerie destinés à de grands domaines viticoles.

Forêt tout terrain

Propice aux promenades qui régénèrent nos énergies usées, le milieu forestier accueille même des stages de survie : près de son camp de base du Rozel, à Saint-Geniès, Denis Tribaudeau permet aux citadins en quête de repères de revenir aux origines en faisant de la nature une alliée, de repousser leurs limites.

L’appel de la forêt aiguise des appétits taillés pour l’aventure : sentiers de randonnées immersifs de la grande boucle du Parc naturel régional Périgord-Limousin ou circuit forestier de la Double des étangs, circuit de la forêt départementale de Campagne ou cheminements sportifs autour de la station trail des gorges de l’Auvézère, accrobranche dans les sous-bois près de Vergt.

Forêt habitée, avec des cabanes hissées dans les arbres pour décrocher des rêves inoubliables – celles de Nid Perché, à Sainte-Sabine-Born, et forêt habitable, dont on extrait de quoi bâtir et meubler des maisons nouvelle génération, ne font qu’une.

Source d’inspiration

Pas de Brocéliande en Périgord, mais des forêts inspirantes, profondes et mystérieuses, prêtes à endosser un rôle majeur dans les oeuvres littéraires. Eugène le Roy a puisé dans les sous-bois marécageux de la Double l’étoffe du héros de l’Ennemi de la mort, et il a placé la misère et la révolte de Jacquou le Croquant dans la forêt Barade.

Fiction et réalité se confondent autour de la figure de Grellety « dernier croquant » du XVIIe en pays Vernois, paysan rebelle et instruit. Aux forêts de légende, succèdent celles de l’Histoire où l’on court se cacher quand la menace approche : dans les cluzeaux lors des guerres de Religion, dans les maquis de la Résistance… Celui de Durestal, reconstitué à Cendrieux, raconte le quotidien de cette « ville dans les bois » qui accueillit jusqu’à 800 « sangliers » dans les abris en feuillards.

Un moulin puis une noyeraie

Après près de 170 ans d’histoire familiale (7 générations), le Moulin de la Veyssière, à Neuvic-sur-l’Isle, ajoute la production de noix à son activité artisanale d’huiles AOP et farines (sans gluten) en unissant son destin à celui de l’exploitation agricole de la famille Aussel (3 générations), les Noyeraies du Lander, à Sarlat. La reprise de ce verger de 17 ha dans le berceau de la noix permet au moulin de Christine Élias et de son fils Paul Dieudonné de conforter leur savoir-faire artisanal en maîtrisant la qualité des produits à la source. La visite du moulin, labellisé entreprise du patrimoine vivant, se prolonge idéalement par une balade gourmande dans la noyeraie sarladaise.

Un paysage gastronomique

Au pied de colosses ou de discrets bosquets dont les familiers taisent les emplacements, poussent les fameux cèpes qui font arpenter les bois, la saison venue. Plus secret encore est le champignon capricieux blotti dans les rhizomes des chênes truffiers du causse de Sorges.

La mythique tuber melanosporum se trouve à l’état sauvage, mais des techniques sophistiquées permettent à des passionnés de l’apprivoiser avant de l’extraire de sa cache souterraine, l’hiver venu, à la mouche, à la pointe du museau de chien et du groin de cochon. La truffe s’expose et se hume sur les marchés où se côtoient restaurateurs, conserveurs et simples cuisiniers des familles heureux de trouver le diamant noir qui illuminera leurs plats de fête.

Truffières, noyeraies ou peupleraies grandissent en marge des espaces boisés. Ces bois dont on fait les fruits, vergers aux arbres disciplinés, célèbrent la châtaigne à Villefranche-du-Périgord, la prune d’ente aux confins du Lot-et-Garonne, la pomme dans
les historiques vergers d’Essendiéras. Mais plus de la moitié des 9 000 hectares de vergers périgourdins sont plantés de noyers. Cette culture traditionnelle s’est tracée une voie royale sous pavillon AOP, route que l’on suit entre Périgord et Quercy d’exploitations nucicoles en moulins.

Quand le soleil décline sur le sol brûlant d’un été indien, on se surprend à savourer un paysage de Toscane sur la rondeur des noyers en se disant, nouvelles donnes climatiques, que des oliviers pourraient un jour venir caresser ces collines.

Biodiversité et patrimoine vivant

De l’arbre au cep de vigne il n’y a qu’un pas que le bergeracois franchit avec de belles expériences d’agroforesterie : l’arbre sort de la souveraine forêt pour se planter en lisière et contribuer, par la biodiversité qu’il amène, à la protection sanitaire du vignoble. Cécile Lelabousse, qui suit les projets environnementaux pour l’Interprofession des Vins Bergerac et Duras, dénombre 21 000 arbres plantés de 2020 à 2022 par les vignerons. Par exemple à Monbazillac où le mariage des arbres fruitiers et de la vigne s’est fait avec le concours des écoliers.

À Pécharmant s’entrelacent 346 parcelles de vignes et une mosaïque d’espaces boisés, ouverts et habités. Là évoluent 13 espèces de chauves-souris et 57 d’oiseaux, certaines rares ou menacées. Ajoutez les papillons, et vous ouvrez le grand bal de la biodiversité dans ce vignoble enherbé, planté de haies et de nichoirs, pour réguler les parasites et faciliter la culture dans cet espace couronné à 73 % par une certification Agriculture Biologique ou Haute Valeur Environnementale.

 

Et si l’avenir se mesurait à l’aune des arbres remarquables qui ont traversé le temps, silhouettes majestueuses sur lesquelles se retourner en point de repère ? Ils sont 200, de 23 essences diverses (orme, platane, chêne-vert, châtaignier, cèdre), recensés pour le bicentenaire de la Révolution. L’if de Bertric-Burée (9 m de circonférence et 12 de haut), lauréat de l’opération Mathusalem en 2010, est estimé à 980 ans. Côté gabarit, le peuplier de Brantôme reste le plus gros arbre de Dordogne avec près de 11 m de circonférence. Enracinée dans notre histoire la plus lointaine, la plus intime, la forêt du Périgord grandit en chacun de nous, pour nous relier à un destin qui nous dépasse.

Marrons d'hier et de demain

Hier prépondérante dans l’alimentation des campagnes, la châtaigne dans le Sud-Ouest (Dordogne, Lot, Corrèze, Haute-Vienne) se refait une beauté grâce à son Union Interprofessionnelle, et surtout une santé puisqu’elle a tout pour plaire : c’est un aliment digeste et sans gluten, complet et équilibré, en circuit court. 1 000 producteurs récoltent environ 3 000 tonnes sous Label Rouge et marque de qualité Marrons du Périgord Limousin. Villefranche du Périgord fut longtemps le fief du marron (et du champignon, avec son marché aux cèpes réglementé) autour d’un musée dédié à sa tradition, son patrimoine et sa gastronomie.

Récoltée de mi-septembre à mi-octobre, vendue fraîche jusqu’à fin décembre puis en bocal ou sous vide, la châtaigne est travaillée en farine ou crème de marron. Le livre de Marie-France Delpech, du Coux-et-Bigaroque, raconte aux éditions du Rocher comment Hildegarde de Bingen (XIIe siècle) usait de ses vertus.

De la sobriété rurale à l’alimentation de demain, l’image de proximité et d’écologie sort ce fruit du traditionnel accompagnement du chapon à Noël pour l’inviter à diversifier nos assiettes flexitariennes avec une teneur en minéraux élevée.

 

Texte Suzanne Boireau-Tartarat

Photos Loïc Mazalrey

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