Attablé devant un café blue mountain (une des rares exceptions aux circuits courts à la Tour des Vents), dans la salle panoramique au décor chic et épuré avec vue sur la fameuse « côte nord », cet alignement de coteaux et son patchwork de vignes qui borde la plaine de la Dordogne du Château de Monbazillac jusqu’à l’appellation Saussignac, Damien Fagette nous conte son histoire, celle d’un chef tombé très tôt dans la marmite.
Un pur « produit » bergeracois naturellement doué pour la gastronomie
Bergeracois de pure souche, aux racines paysannes, ses souvenirs d’enfance sont baignés de saveurs au fil des saisons. Le regard nostalgique, ce trentenaire évoque les déjeuners du dimanche chez son arrière-grand-mère où la volaille de la basse-cour et le lapin de la ferme trônaient sur la table, mitonnés avec son assortiment de légumes du potager. Cette éducation privilégiée du goût a forgé son sens des valeurs « non négociables ».
Travailler les circuits courts, les produits de saison, sonne comme une évidence à ses yeux. Adolescent, il décide de quitter le chemin de l’école pour « faire la cuisine ». Sa voie semble alors tracée lorsqu’il entre en apprentissage à la Tour des Vents chez Marie Rougier, qui devine d’emblée le potentiel de ce « pur produit » du terroir bergeracois à l’instinct sûr et au goût inné.
Une belle histoire de transmission
Dès ses quinze ans, Damien va apprendre auprès de Marie, chef autodidacte, qui a hissé la crêperie guinguette de sa mère, où les bergeracois venaient « guincher » le dimanche après-midi, au rang de restaurant gastronomique au fil des années. Récompense suprême : un macaron au guide Michelin qu’elle décrochera en 2010. Damien embauché comme second en 2008, puis comme chef en 2013 aura tout particulièrement à cœur de conserver la prestigieuse récompense. Une forme de reconnaissance pour celle qui aura partagé son savoir-faire et lui aura permis d’aller faire « ses classes » dans d’autres tables très réputées, chez Rabanel et les jardins de l’Opéra à Toulouse et enfin à Lameloise à Chagny, plus belle table de Bourgogne (3 macarons Michelin).
Une cuisine instinctive
La silhouette aux épaules de rugbyman, engoncées dans la blouse de chef, ce fervent supporter de l’USB, l’équipe de rugby locale est familière sur le marché de Bergerac. Il s’attarde autour d’un café sur un coin de stand avec « son » producteur de fèves, impatient de mettre à l’honneur les primeurs du printemps, première fèves, asperges vertes…
C’est du produit que part son inspiration…
Et sa motivation ! Il ne se lasse pas des richesses de ce pays de cocagne. Bœuf bio du Domaine de Coutancie aux portes de Bergerac, Noix du Périgord, fraise, foie gras, agneau, magrets et volailles fermières, châtaigne… la liste est longue ! Sans parler des premières poussées de cèpes à l’automne qui créent un vrai climat d’effervescence. Toutes ces merveilles sont autant de prétextes à des recettes qui les subliment, sincères et généreuses. « Je construis ma carte sur le marché » nous confie Damien, dont l’un des meilleurs souvenirs gastronomiques est une simplissime terrine de cèpes avec persil et ail.
Même si la cuisine étoilée de la Tour des Vents reflète plus de sophistication que celle du Bistro de Malfourat, l’annexe, a maison met un point d’honneur sur le niveau de qualité des produits. La même brigade pilotée par le chef est aux commandes des deux établissements.
L’ancien bâtiment qui abritait la guinguette a été reconverti en spacieux bistro en 2015 et le limonaire rénové et rutilant veille sur la salle, témoin des paso dobles et rocks endiablés des années 60 !
« Le vin amplifie le mets, et offre une combinaison fabuleuse avec la gastronomie… »
En bon épicurien, Damien se passionne pour le vin, dimension pas si fréquente chez les chefs. Paul Salvat, époux de l’ancienne propriétaire, Marie Rougier, l’avait initié et l’emmenait volontiers dans ses périples œnologiques, notamment en Bourgogne. La carte des vins de la Tour des Vents met à l’honneur de belles cuvées signées de tous les vignobles de France. Les sept terroirs de Bergerac Duras y font l’objet d’une sélection toute particulière et tiennent le haut du pavé. L’équipe se montre soucieuse de renouveler la carte en mettant en avant de nouveaux talents. Elle organise chaque mois des soirées dégustation où Damien conçoit le menu à partir des cuvées de la gamme du vigneron. Un exercice original dont il raffole, tout comme aller faire le tour des chais alentours pour goûter les nouveaux millésimes de ses cuvées préférées.
Il apprécie spécialement les blancs secs d’élevage à la bourguignonne. Arcane, le joli Bergerac sec de Romain Claveille du Château Haut Bernasse, Moulin des Dames de Margaux de Conti au Château Tour des Gendres et le fameux Monbazillac de Bruno Bilancini au Château Tirecul la Gravière sont quelques exemples…
Aujourd’hui, Damien s’implique également dans les nouveaux projets du « navire » Tour des Vents, dirigé par Valérie Bramery au sein du groupe BMG, créé par Bernard Giraudel avec son associé Jean-Pierre Fourloubeix. Le site permettra dès la saison 2023 aux touristes de prolonger la halte gastronomique et contempler le soleil levant sur les vignes de Monbazillac. Ceci grâce à un hébergement « lodge » dans des cabanes en bois et une maison divisée en suites, perchées de part et d’autre du coteau. La Tour des Vents et sont chef ont décidément le vent en poupe !
1 Bernard Giraudel, propriétaire emblématique du Vieux Logis à Trémolat, (tablée étoilée Relais & Châteaux), avait racheté la Tour des Vents à son amie Marie Rougier en 2015 et créé le Bistro.
2 Orchestre automatique, restauré en 2015, où chaque instrument joue de son propre chef, sans musicien.
Texte Marie-Pierre Tamagnon
Photos Loïc Mazalrey. La Tour des Vents