À la fin du printemps flotte dans les vignes un parfum délicat qui émane de toutes petites fleurs blanches et discrètes regroupées en inflorescences - les futures grappes - cachées au cœur du feuillage. Alors qu’il commence à faire chaud, des insectes vibrionnent et une légère brise transporte par vagues les notes florales exhalant de la vigne, suivant peu ou prou l’oscillation intérieure du vigneron entre béatitude et inquiétude. Car c’est en grande partie lors de la floraison que se joue la récolte de l’année.
Des petites fleurs hermaphrodites
Chez la vigne, la grande majorité des variétés à fruits, et c’est le cas de la vigne cultivée en Europe (Vitis Vinifera), possède des fleurs hermaphrodites. Elles n’ont donc pas besoin des insectes pour leur pollinisation puisqu’elles portent à la fois les organes reproducteurs mâles, les étamines, et femelles, le pistil. Elles sont capables de s’auto-polliniser : le dépôt du pollen se fait de proche en proche, au sein de la même fleur. De fait, nul besoin de couleurs exubérantes pour attirer à elles les pollinisateurs : les fleurs de la vigne sont petites, à peine quelques millimètres, et blanches, et regroupées en inflorescences. Après la pollinisation, la suite de l’histoire est assez classique. Les fleurs fécondées donneront des fruits : les baies de raisin. On dit généralement que les vendanges ont lieu 100 jours après la fleur. La floraison marque donc le lancement d’un compte à rebours.
L’œil rivé sur la météo
Une floraison qui se passe bien est assez rapide : entre 3 et 5 jours pour un même cépage. Mais pour que celle-ci se déroule sans accroc, encore faut-il que les conditions météorologiques soient favorables. Lors de la floraison, les fleurs s’ouvrent, se développent et le capuchon floral recouvrant les étamines et le pistil se sépare du réceptacle. S’il pleut durant cette période, le capuchon peut rester collé, empêcher la pollinisation et provoquer l’avortement des fleurs. Celles-ci se dessèchent, tombent et aucun fruit n’est formé : c’est ce qu’on appelle la coulure. La fécondation peut aussi être imparfaite, notamment si les conditions de température ne sont pas réunies et si les éléments nutritifs ne sont pas au rendez-vous. On obtiendra alors sur une même grappe des grains de taille différente : c’est ce qu’on appelle le millerandage. De fait, au moment de la fleur, les vignerons gardent l’œil rivé sur la météo car vous l’aurez compris : coulure et millerandage peuvent affecter fortement la récolte à venir tant en quantité, qu’en qualité.
Tous les cépages ne sont pas aussi sensibles à ces phénomènes. Ceux qui le sont particulièrement, comme le merlot, sont dits « coulards ». Certaines pratiques culturales peuvent être mises en place pour limiter coulure et millerandage. C’est notamment le cas de l’écimage, pratique consistant à couper les apex (extrémités des rameaux). Réalisé à mi-floraison, il permet de réorienter le flux de sève et les éléments nutritifs vers les grappes en formation, privilégiant ainsi la floraison plutôt que le développement végétatif.
Isabelle
Château Le Payral
Razac-de-Saussignac
« Son parfum est léger et subtil. Elle-même est très discrète, on la devine à peine dans le feuillage au contraire très exubérant de la vigne. L’œil non averti ne la voit pas. Cela me donne le sentiment de détenir un secret. Moi qui n’étais pas issue du milieu viticole, découvrir sa présence a été une forme d’initiation, comme si l’un des petits mystères de la vigne et du vin m’était enfin révélé. ».
Sébastien
Domaine du Lac
Ginestet
« C’est un parfum qui m’évoque un peu celui du tilleul… Pour moi, la fleur évoque surtout cette période de travail intense et un peu stressante du fait des risques liés à la météo, de la crainte de perdre une partie de la récolte. C’est la période du relevage, nous passons beaucoup de temps dans la vigne. Son odeur imprègne les vêtements, la peau. Cela surprend toujours les saisonniers qui travaillent avec nous. Lorsqu’ils rentrent le soir à la maison, leur famille leur dit « tu sens la vigne ! ».
Véronique
Domaine du Bout du Monde
Ribagnac
« Le parfum de la fleur de vigne est une de mes odeurs préférées. Il est frais, subtil, m’évoque les fleurs d’eau. Et c’est toujours étonnant de voir la vigne, qui est une plante si rustique, être capable de produire une fleur si délicate. Je me souviens de la première fois où j’ai senti son parfum. C’était en 1995, la veille de mon examen pour l’obtention du DNO (Diplôme National D’OEnologue). J’étais en panique et avais l’impression que ma tête allait exploser de trop de révisions. J’ai appelé ma cousine, œnologue, qui travaillait dans un château bordelais. Elle m’a dit : « Ne reste pas enfermée, viens, nous sommes en juin, la vigne est en fleur, ça va t’inspirer ! ». Je me suis exécutée et quelle découverte : c’était la première fois que je sentais cette odeur et depuis, chaque année, je repense à ce moment. Et surtout, cela m’a porté chance car j’ai obtenu mon diplôme ! ».
Texte Alexandrine Bourgoin
Photos Victoria Hebrard – IVBD