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Comédien natif de Bergerac, Mounet-Sully s’impose comme le premier « monstre sacré ». L’expression est créée par Jean Cocteau(1) qui lui consacrera un magnifique portrait en 1945. Le tragédien, grand interprète des œuvres de Victor Hugo et adoubé par l’auteur de la « Légende des siècles » lui-même, n’avait d’égal que l’immense Sarah Bernhardt avec qui il a partagé ses plus grands succès à la scène mais également une romantique et tumultueuse histoire à la ville.

Issu d’une honorable famille propriétaire de métairies dans le bergeracois, ses parents étaient loin de se douter que deux de leurs fils figureraient au firmament de l’histoire du théâtre parmi les plus grands acteurs de la fin du XIXe siècle au début du XXe. En effet, Paul Mounet le frère de Jean Sully Mounet (dit Mounet-Sully), fera une brillante carrière théâtrale et sera également sociétaire de la Comédie Française.

Mounet-Sully se fera rapidement remarquer en imposant son style aussi inédit qu’inimitable : il habitait véritablement le personnage qu’il incarnait jusqu’à le transcender avec un lyrisme passionné, servi par un visage d’une grande beauté et un port de tête léonin.

Il entre très vite à la Comédie Française et débute en 1872 dans « Oreste » d’Andromaque. Il incarnera plus tard plus de deux cent fois Ruy Blas aux côtés de Sarah et le couple atteindra des sommets avec la reprise d’« Hernani » en 1877. Dans son répertoire, les œuvres de Victor Hugo, à qui il vouera toute sa vie un véritable culte, occuperont une place particulière aux côtés des grandes tragédies antiques (dont « OEdipe Roi »). Il participera en 1886 à l’hommage rendu au grand homme par la Comédie Française avec la lecture de passages de « La fin de Satan » puis plus tard à Guernesey aux fêtes d’inauguration de la statue hugolienne en récitant « Oceano vox ».

 

Entre deux succès à Paris et des tournées triomphales (en Europe, en Russie et aux États-Unis), il aime à se retrouver dans la belle demeure de famille à quelques kilomètres au nord de Bergerac, en bordure du vignoble de Rosette. Il y fait de nombreux aménagements, en particulier un théâtre, d’un style mariant néoclassique et baroque, avec force colonnes, moulures et niches sculptées. La belle Sarah, fera partie des invités lors des fêtes que donneront les deux frères tragédiens ainsi que leur ami commun, le brillant professeur Samuel Pozzi 2, en leurs terres bergeracoises. « Mounet Sully, maître de maison, servit en personne… le tourain à la tomate… » et les invités parisiens se plient à la tradition du « chabrol » conte Robert Coq dans « Souvenirs d’OEdipe Roi » ! Les « fameux dîners de Garrigue 3 », dans la plus pure tradition périgourdine, étaient bien arrosés « de vins de race de Pécharmant, de Rosette ou de Monbazillac », fort appréciés par les joyeux « jet setters » parisiens en goguette en Périgord. Parmi lesquels figurait l’ami Edmond Rostand, dont la pièce Cyrano de Bergerac connût un succès historique 4, et restera l’œuvre la plus jouée dans l’histoire du théâtre.

Grâce à ce personnage fictif, entièrement né de l’imagination de son bouillonnant auteur, Edmond Rostand, qui s’était inspiré d’un énigmatique Savinien de Cyrano de Bergerac 5 (qui a bien existé mais n’a jamais mis un pied en Dordogne) Bergerac bénéficiera d’une notoriété mondiale. On se plaît à penser qu’au même moment, une fabuleuse contribution à l’histoire du théâtre est apportée par notre illustre ressortissant bergeracois, Mounet-Sully… Et même toute sa famille, presqu’une dynastie Mounet-Sully ! Puisqu’au-delà des deux frères, la comédienne Jeanne Rémy, qui deviendra la compagne de Mounet-Sully lui donnera une fille, Jeanne Sully, qui à son tour sera sociétaire de la Comédie Française et y fera une longue carrière.

 

Il est étonnant que la dimension et le succès exceptionnel de ce grand tragédien pendant un demi-siècle ne lui aient pas apporté davantage de popularité posthume. Lors de l’anniversaire du centenaire de sa mort en 2016, célébré, entre autres, à la Maison de Victor Hugo, Frédérick Sully, son arrière-petit-fils, avait largement œuvré pour qu’au-delà de la capitale, un évènement hommage ait lieu dans la cité de Cyrano. Mais tout bergeracois de passage à Paris, peut ressentir une immense fierté en contemplant le médaillon à l’effigie de Mounet-Sully, sur le mur de la Comédie Française, seul acteur parmi les auteurs de légende ainsi gravé dans le marbre sous la galerie de ce lieu, saint des saints du théâtre ! Suprême panache !

 

1. Les Parents Terribles, Jean Cocteau, Gallimard, Ed. 1938.

2. Samuel Pozzi, chirurgien, bergeracois d’origine, qui a joué un rôle majeur dans l’histoire de la médecine moderne. Habitué de la vie mondaine parisienne, il aime également recevoir en son beau domaine de la Graulet, à l’Est de Bergerac.

3. Nom du lieu-dit du domaine (aujourd’hui nommé Château Mounet-Sully)

4. La première de Cyrano de Bergerac se joue le 28 Décembre 1897 au théâtre de la Porte Saint Martin, couronnée par un triomphe.

5. Quai Cyrano Maison des Vins et du Tourisme à Bergerac ouvrira le 15 juin 2024 un espace scénographie autour des deux personnages de Cyrano, le héros d’Edmond Rostand et le personnage qui l’a inspiré.

 

Texte Marie-Pierre Tamagnon

Illustration Yann Hamonic

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